Interview d'un passionné de musique : Serge Beyer



Le 16 janvier dernier, rendez-vous était donné pour fêter les 30 ans d’activisme musical du magazine Longueur d’Ondes au Pan Piper. Cet espace multi-évènementiel, récemment ouvert dans le 11ème arrondissement, se veut entre autre être un complexe culturel.  


C’est donc naturellement que son atmosphère s’est chargée de la passion des musiciens venus remercier le magazine de soutenir les artistes autoproduits depuis trois décennies. Le public a ainsi pu découvrir les univers éclectiques de Lili Cros & Thierry Chazelle, d’Askehoug, du Laron et de Cabadzi qui ont chauffé le début de la soirée dans la grande salle du premier étage. Une expo y présentait également des posters tirés de photos exclusives de la revue. La fête s’est ensuite déplacée au sous-sol dans l’auditorium où Serge Teyssot-Gay & Khaled AlJaramini, Alexis K, Karimouche, François Hadji Lazaro, MeLL, Kemar et Nosfell ont célébré chacun grâce à leur musique cet anniversaire.

Mais cette soirée et bien sûr cette aventure n’aurait jamais été possible sans celui par qui tout a commencé. Serge Beyer, créateur et rédacteur en chef de Longueur d’Ondes, a su se rendre disponible  pour répondre à nos questions.


Quel a été ton parcours en tant que journaliste avant de créer le magazine Longueur d’Ondes ?

Je n’ai pas de parcours ni de diplôme de journaliste. Je suis juste un passionné et j’ai créé ce magazine car je ne trouvais pas mon compte dans ce qui existait il y a 30 ans. J’écoutais énormément de musique depuis toujours. J’ai donc décidé d’aller rencontrer au culot des artistes qui me faisaient plaisir et qui n’intéressaient pas grand monde à l’époque comme William Sheller, Hubert-Félix Thiéfaine. 

J’ai parlé avec eux et essayé de retranscrire cette passion sur des feuilles photocopiées, agrafées sur le côté. Et ça a commencé comme ça, en distribuant ce qui n’était pas encore un magazine mais plutôt un fanzine.  Puis une petite équipe de gens intéressés s’est formée autour de ce projet. D’ailleurs certains qui étaient là au départ sont encore là ce soir.

Entre le début des années 80 et maintenant, y-a-t-il eu une évolution de l’activisme musical, c’est-à-dire du rôle de soutien et de promotion des artistes autoproduits que revendique Longueur d’Ondes ?

Il est clair qu’il y a eu forcément beaucoup d’évolution dans le milieu de la musique depuis le départ. Mais il y a aussi une sorte de « désinvolution » qui fait qu’on se retrouve presque au schéma de base. Je me rappelle quand se créaient des petits labels dans les années 80 qui défendaient des gens comme Les Garçons Bouchers ou Pigalle ou même La Mano Negra avant qu’ils ne soient signés par un gros label. Tous étaient des artistes qui ramaient, qui mettaient toute leur passion dans leur création et Longueur d’Ondes était donc déjà là à l’époque pour les soutenir.

Et aujourd’hui que les majors mettent tout le monde à la rue à tour de bras, je pense qu’on est à peu près dans le même cas de figure. C’est-à-dire que maintenant au lieu de créer son label, on fait son disque chez soi parce qu’on en a les moyens techniques. Car si techniquement tout a changé, artistiquement on est pas loin du schéma de base.

Donc, grâce à des chroniques ou des interviews, une bonne partie du magazine continue à défendre les artistes autoproduits comme on l’a toujours fait. Et on reçoit encore plus de disque qu’avant. Toutes les semaines c’est un flux de disques qui arrive et souvent des choses de qualité. C’est donc de plus en plus dur de faire des choix parce que nous n’avons que 5 numéros par an. Il faut faire des choix drastiques.

Longueur d’Ondes est distribué en France, en Belgique et au Québec. Penses-tu que la situation soit la même pour les artistes autoproduits dans ces trois pays ?

J’ai en effet mon opinion sur cette question car je vais au Québec depuis plus de 15 ans où la revue est distribuée assez massivement de manière suivie.
La France a un système complètement différent car l’intermittence du spectacle n’existe pas au Québec, ce qui les fait évoluer de façon complètement différente. Eux font beaucoup de demande de subventions pour la création. Il n’y a pas de statut officiel de musicien mais les artistes peuvent demander des aides pour écrire, pour enregistrer ou pour faire de la scène, ce qui n’existe pas en France. 
Donc par rapport au statut d’intermittent, cela crée un certain équilibre. C’est une autre façon de faire. Mais l’artiste québécois qui veut sortir un disque a autant de difficultés que l’artiste français. C’est juste un autre système.

En revanche le Québec est plus ouvert sur beaucoup de choses alors que la particularité de la France est d’avoir des œillères, de placer les gens dans des catégories, d’écouter certaines choses et pas d’autres. Là-bas par contre c’est l’ouverture totale et dans l’humain également. Les gens sont tous acceptés tels qu’ils sont sans poser de barrières et de questions, à l’inverse de la France.

Ils sont dans un schéma plus anglo-saxon ?

Oui en effet, ils ont un schéma plus américain car Montréal et le Québec sont finalement des francophones entourés d’anglo-saxons. Mais le schéma américain, c’est aussi le business plan. Celui qui veut que tu sois un ami pendant 6 mois parce que tu es utile puis ensuite tu n’es plus personne. Ils ont aussi ce mauvais côté américain… quoiqu’en France on assassine aussi les gens très facilement. (Rires)

Pendant ces 30 années, quels sont les artistes qui t’ont le plus marqué ?

Je dirais que les artistes qui sont invités ce soir sont en effet des gens qui m’ont marqué. Je ne parle évidemment pas des découvertes du début de cette soirée. Mais j’ai rencontré Kemar de No One is Innocent dans un festival off alors qu’il n’avait pas encore signé et je suis resté scotché. De même quand on a vu la performance de Nosfell, on a compris qu’il se passait quelque chose. Quand j’ai reçu le premier disque de MeLL, je me suis vraiment demandé ce que c’était que ce truc !

En fait le sous-titre du magazine est ‘Le détonateur musical’ et tous les artistes invités ce soir sont des gens détonateurs.
Il y a aussi bien sûr François de Pigalle pour toute son œuvre. Et puis les petits nouveaux comme Karimouche qui n’hésite pas à mélanger plein de choses et qui offre un beau panel musical.
Tous ces artistes m’ont donné l’envie de continuer et d’exister toujours. C’est aussi bien sûr grâce à mon équipe car nous sommes assez nombreux, ce qui fait fonctionner la machine.

Le fait que Longueur d’Ondes soit gratuit, cela permet-il au magazine de rester indépendant et de garder sa liberté d’expression. Penses-tu qu’il est important de conserver cette gratuité ?

Tant que je serai là, c’est la ligne que je défendrai. Etre indépendant est hyper difficile car nous n’avons aucune subvention, aucune aide et nous ne sommes pas un groupe de presse. On ne vit donc qu’avec les espaces publicitaires que l’on vend. On a ainsi trouvé la solution en étant coupé du rapport ‘Si tu parles de mon artiste, je t’achète de la pub’.

De plus, cent mille exemplaires représentent une force de frappe. Donc même ceux qui ne nous aiment pas vraiment sont obligés de reconnaître que s’il ne reste plus grand monde dans la presse, nous nous sommes toujours là.

Et, si Longueur d’Ondes existe depuis trente ans,  c’est aussi parce que nous avons une ligne éditoriale. Je suis persuadé que le magazine ne marcherait pas s’il était à la solde de l’échange pseudo commercial, ce qui se sentirait dans l’écriture et ça ne fonctionnerait pas. C’est ce que l’on a d’ailleurs vu avec plusieurs magazines qui sont nés et qui avaient ce défaut. Ils ne sont donc plus là aujourd’hui.
Notre intégrité fait que nous sommes reconnus et appréciés.

Avec l’évolution de la presse et du tout numérique, penses-tu que Longueur d’Ondes puisse rester au format papier et être toujours autant distribué ou est-ce-que sa publication s’effectuera plus sur internet ?

Longueur d’Ondes est déjà sur internet avec un site qui fonctionne bien et qui en plus est un numéro virtuel car ce qui est sur le site n’est pas sur le magazine.
Le magazine peut être feuilleté ou téléchargé mais les interviews ne sont pas les mêmes. Il y a aussi d’autres chroniques, des comptes rendus de concerts et de festivals beaucoup plus développés, de la vidéo… Le travail sur ce site d’effectue aussi en parallèle parce qu’on ne peut pas faire plus de cinq numéros par an.

Donc je suis persuadé que le papier n’est pas mort contrairement à ce qu’on dit. D’ailleurs, les artistes ne sont absolument pas intéressés d’être perdus sur le web. Ils veulent au contraire être sur le papier pour garder une trace de la chronique qui leur est consacrée.

En plus, nous avons un champ d’action très particulier qui passe uniquement par un réseau ciblé musique, pour les consommateurs de musique dans les salles de concert, les médiathèques, les lieux de répétitions, là où se vit la musique. Nous avons mis du temps à installer ce réseau mais il nous appartient car nous l’avons inventé.

Et il est clair que c’est un réseau où il y a besoin de fédérer les choses et je pense que nous jouons un peu ce rôle. C’est-à-dire à la fois de découvreur mais aussi de parler des artistes que nous soutenons depuis longtemps, qui sont installés mais qui méritent d’être encore soutenus. Et puis on fait des dossiers et pleins d’autres choses. Longueur d’Ondes est au cœur de la vie musicale.

Le Parisien

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